Efadine n°2 – mars 2010

La responsabilité
par Jacques Ardoino

Le substantif féminin « responsabilité » apparaît seulement dans notre culture, aux alentours de la période révolutionnaire (1780 -1790) y compris pour pouvoir répondre aux besoins de traduction de l’anglais responsability ; l’adjectif «responsable » était, alors, déjà largement utilisé, depuis plusieurs siècles. Tous les deux dérivent du latin respondere : répondre, répondre de quelque chose, aux sens de se porter garant, de garantir, d’assumer les conséquences. Exprimant ainsi l’équivocité, voire la multivocité, que conservera la notion, le sentiment et l’état de responsabilité apparaissent, de la sorte, à la fois ancrés psychologiquement et socialement dans la conception et l’organisation rationnelle de l’esprit humain, comme dans les substrats irrationnels, émotionnels et affectifs d’une pensée.

Représentée plus dynamique ou plus statique, selon les contextes et les circonstances, tantôt se laissant percevoir comme une charge découlant d’un statut ou d’un enchaînement de fait (causalité), une obligation, tantôt comme une tension vers, un projet, un espoir ou une utopie, une promesse, un engagement qu’il faut poursuivre et assumer dans le présent comme dans le futur, cette notion oscillera, tout au long de ses usages, entre le droit et la morale, puis l’éthique.

Mais pour le premier il faudra encore distinguer entre droit pénal ou droit civil, d’une part, et droit objectif ou droit subjectif, d’autre part. On peut, en effet tirer l’idée de responsabilité d’un préalable contractuel (contrat civil ou contrat social, manquement à un engagement comme aux obligations qui en résultent) ou des conséquences d’un fait réputé délictueux, portant atteinte aux droits d’autrui et à l’intérêt général avec intention délibérée de nuire, au moins calcul de nature dolosive. C’est pourquoi le droit pénal accordera toujours, à l’origine, une plus grande importance à la prise en compte de l’intentionna-lité, de la volonté, dans l’acte supposé criminel ou délictueux, aux regards de la loi établie (nullum crimen, nulla poena sine lege), tandis que, dans le registre du droit civil, on peut plus facilement être tenu plus ou moins objectivement responsable, indépendamment de ses intentionnalités propres (art. 1382, CC.). Quand l’établissement des faits le justifie la responsabilité, prédéterminée par la loi, est ainsi imputée, attribuée (imputabilité), toujours à une, ou plusieurs, personne(s) (physiques ou – et – morales) en fonction de règles de vie instituées pour maintenir la paix civile ou l’ordre social. L’obligation est, alors avant tout, institutionnelle, et ressentie éventuellement de façon plus personnelle par contre coup. Dans la mesure où les sociétés contemporaines s’infléchissent en concédant à la «victimisation » comme à la « réparation » une part de plus en plus importante, des mouvements se font jour, à propos de l’irresponsabilité (pour causes psychiatriques notamment), pour distinguer entre la non responsabilité, toujours liée à l’intentionnalité et la nomination, la désignation en tant qu’auteur originel auquel pourraient tout de même être imputés, dans un second temps, la réparation de préjudices et de dommages (la loi du 3 janvier 1968 introduit déjà l’idée d’une responsabilité du dément dans ses actes dommageables, ce qui est, tout de même, contradictoire avec l’exigence dominante d’un libre arbitre). Il y aurait, alors, tout à la fois, très progressivement civilisation du pénal et pénalisation du civil. Le droit international s’inscrira lui même, mais beaucoup plus malaisément encore, dans un tel sillage. L’auteur d’un dommage, d’un crime ou d’un délit devra dès lors réparationà sa (ses), victime(s), sans préjudice des pénalités que les représentants qualifiés de l’ordre public pourront aussi vouloir requérir, au titre de la société. Dans l’histoire de civilisations soucieuses de plus d’humanité dans les rapports humains on passera progressivement de la loi du talion (« oeil pour oeil, dent pour dent») à des formes de compensations pécuniaires moins rigoureuses et moins extrêmes, introduites notamment par le droit germanique (wergeld). La responsabilité collective fera aussi progressivement place à l’individuation. En revanche, c’est, plus que jamais, la responsabilité du plus grand nombre qui garantit au mieux les droits de chacun.(suite de l’article dans la revue papier)

Témoignage

La complexité dans la responsabilité
par Léna Müller

Un voyage en plein dans la dialectique de la responsabilité.

Départ en bus de Paris Gare de l’Est à 20 heures. Les sans-papiers restent dehors, la croix rouge distribue des repas à l’entrée du parc. Nous autres partons vers Berlin.

La famille turque avec un patriarche et beaucoup d’enfants.

Les femmes maliennes.

Quelques personnes qui ont du mal à convaincre de leur crédibilité, leur identité en papier.

On traverse les champs jaunes de la Picardie printanière et mon coeur se serre car j’ai beaucoup investi pour que ce pays me devienne terre connue, espace presque acquis. En route pour autre chose.

Heureusement, je suis assez fatiguée pour tout prendre à la légère ce soir.

Quand je réfléchis sur mon histoire personnelle avec ce concept de responsabilité, je constate qu’il est probablement une des valeurs les plus importantes de mon éducation, la valeur la plus chère à mes parents. Il est la base de toute réflexion sociale, le fait de se montrer responsable est la condition pour pouvoir être prisE au sérieux, pour avoir une prise sur ce qui se passe.

Constamment, on est contraintE de prendre des responsabilités.

La morale de la responsabilité.

Une situation en famille : Un déjeuner de jour de fête. Sous le regard de ma mère, je fais le service et la plonge. L’ambiance est un peu tendue après plusieurs journées en famille, la fatigue se fait sentir. Après le repas, je sens le besoin de me ressourcer auprès de moi, je me retire pour quelques moments de lecture. Ma mère vient me voir en me disant qu’elle est déçue de mon comportement égoïste, qu’elle le ressent comme un refus de porter ma responsabilité pour ce moment collectif entre proches. Je culpabilise, moi, qui pense que la création de moments collectifs intéressants est si importante. Ne serais-je pas capable de me montrer responsable pour cela?!

(suite de l’article dans la revue papier)


Les moulins à vent de la normalité
par Christian Lamy

Je ne possède plus et donc ne regarde pas la télévision, ni n’achète ou feuillette les programmes des chaînes hertziennes, TNT, câble ou internet. Je suis inventeur de mes soirées et ignorant de la zappette multi-fonctions et des grignoteries devant écran. J’allège mon budget de la redevance. Je n’écoute pas la radio, sinon France Culture lorsque je conduis sur de longs trajets. Ni télé, ni radios ne me manquent. Et je suis heureux !

Depuis mes 18 ans, je ne pratique pas de sport, ni individuel, ni collectif. J’échappe aux messes des grands stades, aux rassemblements devant buvettes, aux résultats de week-ends, aux retransmissions arrosées, aux populismes de clochers. J’ignore le footing, avec appareil d’indices de bat tements cardiaques au poignet, short américain ou cycliste collant fluo sur les fesses et baskets aéro-dynamiques de marque. Le « dépassement » de son corps par la souffrance musculaire –en public de surcroît- m’apparaît une approche sado-masochiste répréhensible ; développer sa volonté de caractère et son endurance physique par la brûlure des poumons et la tension des mollets me semblent une hérésie éducative. Couper du bois, cueillir mures ou champignons, construire un mur de terrasse, bénévoler activement dans la vie associative m’offrent une dépense énergétique et un entretien corporel suffisants.

Je méconnais les jeux d’argent, loto, tiercé, cartes à gratter multicolores, loterie, machines à sous des casinos et paris en lignes. Je ne fréquente pas de médecins, et ce depuis toujours hormis les indispensables dentiste et ophtalmo. L’homéopathe même peut regretter l’espacement quinqua annuel de mes rendez-vous. Seul l’ostéopathe a droit à mes visites régulières, si possible à saison fixe, pour re-organiser les énergies et équilibres et permettre à mon organisme de renforcer ses propres défenses.

Je ne me reconnais même plus comme athée, seulement mécréant, dans le respect de ceux qui vivent la foi et l’irrespect actif et persévérant des églises de pouvoirs et religions d’embrigadements.

(suite de l’article dans la revue papier)


Un témoignage de militance associative

Engagement et innovation
par Marie-Anne Lenain

contexte

Le café-lecture Les Augustes à Clermont-Ferrand, café associatif original, convivial et intergénérationnel veut promouvoir l’écrit et la citoyenneté dans une démarche d’éducation populaire et une inscription dans l’économie solidaire. Il avait le projet, dès son ouverture le 13 mars 1997 de consacrer la journée du mercredi à l’accueil d’un public enfants, tout en organisant par ailleurs des partena-riats avec des écoles, collèges et lycées. Ces partenariats se sont déroulés durant trois années puis le café-lecture a décidé de les arrêter au constat que ses interventions dans les classes avec des écrivains ne créaient pas une relation pédagogique mais permettaient aux enseignants une heure de temps libre pour des tâches qu’ils n’avaient pas le temps de réaliser habituellement ; les accueils de classe au café-lecture s’effectuaient seulement en juin sur décision des enseignants dans un temps scolaire sans enjeu, comme une distraction sans importance. Dans le même temps les accueils d’enfants et de parents de crèches parentales, l’accueil de familles au café-lecture, les activités pour enfants du mercredi, montrèrent l’impossibilité d’accueillir de manière permanente ou régulière les enfants dans un lieu conçu pour les adultes (règles de sécurité, perturbations de bruits et de circulation dans le café). Ainsi est née l’idée de créer un lieu « café pour enfants » permettant une relation enfants/parents particulière, une éducation à la socialisation complémentaire des autres lieux de socialisation, un apprentissage à la citoyenneté.

Ce témoignage n’expose pas l’ensemble du projet, son déroulement et son fonctionnement. Il témoigne sobrement d’un parcours individuel dans une initiative pour poser quelques interrogations à partir d’une pratique.

Cette aventure a commencé pour moi en juin 2005 avec de l’appétit pour un projet que je voyais comme « renaissant », comme un diverticule des Augustes qui se développerait par son autonomie. Ainsi donc on crée une association pour porter le projet de création d’un café-lecture pour enfants… par une assemblée générale avec l’élection d’un conseil d’administration alors même que je suis professionnellement occupée en un lieu assez proche, à quelques rues de là, à la rédaction d’un dossier européen (qui, d’ailleurs ne verra pas le jour). Etant candidate, je suis élue au bureau de l’association et à la présidence… Reste donc à se mettre au travail.

La première étape est de débuter la construction du projet en parallèle de la recherche d’un lieu. Nous travaillons alors les choix pédagogiques par rapport à l’accès à la lecture et à l’écriture, à la relation parents-enfants, une réflexion sur les produits proposés (boissons, sandwichs, grignoteries…), comment nous imaginons le mobilier et la disposition, comment organiser l’accueil des enfants et des parents et ce que nous ne voulons pas devenir : ni un centre de loisirs, ni un parc de jeux, ni une cour de récréation mais seulement un café-lecture, un café adapté aux enfants et aux adultes qui les accompagnent. Puis nous repérons et visitons des locaux en centre-ville à partir des petites annonces et du réseau de connaissances

personnelles que nous mobilisons. Nous avons défini que le café-lecture enfants devait être suffisamment vaste pour permettre aux petits de bouger, pour installer un emplacement bar, une réserve, des toilettes dont une pour handicapés, et évidemment des bacs et des étagères à livres. Un premier transfert des Augustes vers le café-lecture pour enfants se met en oeuvre par la présence dans le conseil d’administration du président, du vice-président, du secrétaire et de deux bénévoles des Augustes en même temps que deux mamans s’investissent dans le projet. Nous repérons un local de l’Office départemental, rue du Pont Naturel, environ 80 m2

pour un loyer modeste, qui conviennent parfaitement et nécessitent une mise aux normes pour l’accueil de public (sortie de secours par exemple) et en particulier avec des livres dans la pièce (contraintes liées aux risques d’incendies).

Sur ce l’été passe tranquillement avec les études pour les travaux mises en oeuvre par l’OPAC et du travail sur ce qu’est et n’est pas un café pour les enfants, les activités à organiser. Nous pensons nécessaire la création d’un poste salarié dès l’aménagement des lieux et nous envisageons la demande d’une aide emploi-tremplin au Conseil régional (un emploi aidé afin de favoriser la vie associative mais avec des contraintes concernant le statut social du-de la- candidat-e…). Le projet avançant, un bénévole des Augustes s’implique et est pressenti comme salarié pour le démarrage du projet: il devient co-porteur du projet, nous nous connaissons et

il correspond aux exigences de l’emploi tremplin. Nous mettons alors en oeuvre le dossier de demande auprès du conseil régional et… nous apprenons que l’OPAC est toujours intéressée mais à condition que ce soit l’association qui finance les travaux dont le coût s’élève à 37000euros environ selon leurs études : impossible pour nous à assumer et inenvisageable

du côté de l’OPAC de réduire ces coûts par de l’auto-construction que nous pourrions réaliser pour un tiers seulement de la somme avec les compétences bénévoles que nous savons mobiliser. Nous tentons quand même une rencontre de négociation et d’explication dans le

même temps que nous obtenons l’emploi tremplin ! Mais côté local, c’est une impasse…

Fin de l’automne 2005, nous avons donc maintenant la possibilité de créer un poste salarié comme animateur de l’association et co-porteur du projet… mais nous n’avons plus de lieu et une sérieuse claque à l’équipe avec ce premier revers qui cause entre autres le départ d’un militant du projet et décourage les autres. Il faut donc se remettre au travail et créer l’énergie collective pour avancer.

(suite de l’article dans la revue papier)


Un intranet de l’éducation populaire analyseur de rapports de force
par Jean-Marie Sanchez

La recherche-action dont rend compte cet article concerne l’usage de l’outil intranet dans une organisation d’éducation populaire. Agent de développement d’une fédération départementale d’un mouvement d’éducation populaire, je suis chargé de consolider son action culturelle et son développement informatique. En septembre 2002, je m’inscris au Séminaire Itinérant des Acteurs Sociaux de Peuple et Culture. Ce séminaire prépare, en trois ans, au DHEPS. Il forme à la méthodologie de la recherche-action entendue comme «une action délibérée visant un changement dans le monde réel, engagée sur une échelle restreinte englobée par un projet plus général et se soumettant à certaines disciplines» (Dubost. J., 1983, p. 17). Sur cette période, mon activité professionnelle devient alors un objet de recherche. Mon intérêt, lié à mon histoire, est la défense de l’éducation populaire. Ma recherche-action, elle, porte sur l’outil intranet comme possible outil de développement de la connaissance. L’intranet est un réseau de télécommunication destiné à l’usage exclusif d’un organisme, utilisant les mêmes protocoles et techniques de l’internet (Définition du terme «intranet » du journal officiel du 16 mars 1999 Vocabulaire de l’informatique et de l’internet du site internet : http://www.dglf.culture.gouv.fr/cogeter/16-03-99-internetlistes.html -Définition du terme « forum » du journal officiel du 16 mars 1999 : Vocabulaire de l’informatique et de l’internet du site internet : http://www.dglf.culture.gouv.fr/cogeter/16-03-99-internet-listes.html). Ce logiciel permet des échanges entre deux utilisateurs mais également des échanges collectifs appelés «forum» ou «conférence». Cet outil informatique permet l’échange et la discussion sur un thème donné : «chaque utilisateur peut lire à tout moment les interventions de tous les autres membres et apporter sa propre contribution sous forme d’articles». Je défends ici l’hypothèse que cet outil technologique peut être utilisé comme un analyseur de rapports de force dans un mouvement d’éducation populaire. J’emploie le terme d’analyseur dans la tradition de l’analyse institutionnelle. Il est «l’élément qui permet l’analyse», qui révèle et fait parler la dichotomie constitutionnelle de l’institution : à savoir la lutte entre forces instituantes (force de changement dans l’institution) et forces instituées (force d’inertie conservatrice dans l’institution, qui cherche à préserver la situation telle qu’elle est) » (Hess, 1978. p.182).

Sur l’intranet s’affiche une «oralité écrite» des locuteurs, qui révèle et transforme en même temps les rapports de forces. L’acteur prend conscience qu’il participe à un système d’écriture collective au fur et à mesure que les contributions volontaires se multiplient. Sur Intranet, la lecture mène à l’écriture, et inversement. Dans cette pratique, nous assistons à une progressive maturation de la pensée collective.

Dans cet article, je rends compte tout d’abord de l’éducation populaire en tant qu’organisation visant à un partage du pouvoir, entre acteurs sociaux. Ensuite, je présente une expérience de l’introduction d’un intranet dans un mouvement d’éducation populaire, entre 2003 et 2006. Puis, j’analyse deux problématiques observées durant cette période : le pouvoir de l’écrit et l’écriture du pouvoir. J’en induis, d’une part, que l’usage de cet outil au sein d’un mouvement d’éducation populaire permet une critique d’un pouvoir institué par un pouvoir instituant. D’autre part, je conclue que l’intranet peut bénéficier d’une compétence d’animateur. Son intervention peut mener à un plus grand partage du pouvoir.

L’éducation populaire comme projet de partage du pouvoir Le pouvoir du peuple dans une action de l’éducation populaire est abordé dans le manifeste de «Peuple et Culture». Il stipule

qu’il s’agit de «rendre la culture au peuple et le peuple à la culture ». Il précise que «la culture n’est pas à distribuer, qu’il faut la vivre ensemble pour la créer» (Chosson, 1995). Françoise Têtard, historienne, précise : «L’éducation populaire est un mouvement politique qui n’ambitionne pas la prise de pouvoir,mais vise à une participation active des citoyens» (Têtard F.,1997, pp. 138-146). L’éducation populaire amène, selon Christian Hermelin, «la promotion des individus et de groupes sociaux à la conscience de leurs situations, à des actions de transformation et de libération des aspirations, au mieux-être et au mieux faire dans tous les domaines de l’activité humaine et sociétale (Hermelin Ch., 1998).

En tant que chercheur, je me suis demandé si l’usage de l’intranet pouvait participer à développer ou transformer le pouvoir populaire. Est-ce que l’usage qui est fait de l’outil peut permettre une participation active des adhérents pour construire du lien social et donner du sens à une transformation sociale ? Est-ce que l’analyse de mon action confirme l’hypothèse de Dan Ferrand Bechmann, (2005 p.25), lorsqu’elle dit qu’ «un des coeurs de l’éducation populaire actuellement est le partage du pouvoir et le partage du pouvoir agir. Dans les pratiques contemporaines de l’éducation populaire, un dernier changement à noter serait celui introduit par Internet, un instrument d’éducation populaire prometteur et très pratique»?

Par ma place organisationnelle, j’ai mené une observation des usages de l’outil lors de sa mise en place. Pendant trois ans, j’ai recueilli les messages d’intranet qui m’étaient destinés. J’ai complété ce corpus de données documentaires par des entretiens semi-directifs d’acteurs identifiés pour leur pratique engagée dans l’écriture sur l’intranet. Ils sont bénévoles ou salariés, nationaux et/ou départementaux. Ils ont tous eu une pratique de l’outil en tant qu’auteurs et lecteurs de messages. Ils sont impliqués dans au moins une des situations qui constituent le corpus de données documentaires. Au total, ils sont treize acteurs à être interviewés dans le cadre de cette recherche-action.

Ce que les acteurs font sur l’intranet

En 2001, lors de son assemblée générale, la fédération nationale situe son projet dans la tendance qui prône l’accès à internet : il faut « faire entrer l’éducation populaire dans le 21ème siècle via l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communication ». A travers son discours sur la mise en place d’un intranet, elle souhaite renforcer l’identité du Mouvement d’éducation populaire en réaffirmant ses valeurs et faciliter la démultiplication des actions menées dans le Mouvement. L’institution se dote cette année là, d’un intranet constitué de conférences informatiques. Celles-ci permettent un échange de messages électroniques entre les adhérents inscrits. Le système est administré techniquement par un salarié national. Il est le seul à délivrer les accès à l’outil. Chaque conférence est en théorie animée par un modérateur («Personne qui veille au respect de l’objet et du règlement des échanges de messages électroniques effectués dans un cadre organisé. Le modérateur veille notamment à éviter les arrosages publicitaires et les bombardements, ainsi que les propos qui pourraient constituer des infractions pénales. Dans un fonctionnement en différé, comme pour certains forums ou listes de diffusion, le modérateur examine les articles ou messages reçus des participants et en accepte ou en refuse la diffusion. Dans un fonctionnement en direct, le modérateur agit par des avertissements et par exclusion des contrevenants». Bulletin officiel du Ministère de l’Éducation Nationale http://www.education.gouv.fr/bo/2005/23/CTNX0508288K.htm). Chaque adhérent bénéficie d’un accès à une conférence nominative en fonction de sa légitimité statutaire. Moi-même, étant élu représentant du collège des salariés (Le collège des salariés est inscrit dans les statuts. Il est force de propositions pour accompagner la réflexion qui nourrit la politique de la fédération nationale. C’est l’instance de réflexion des salariés en complémentarité avec celle des bénévoles et en respect des valeurs d’éducation populaire. Seuls les salariés volontaires et bénévoles y adhèrent. Ils élisent leurs représentants au conseil d’administration national), je participe à la « Conf CA national » (Abréviation de Conseil d’Administration qui est l’instance décisionnaire de la Fédération Nationale).

En tant qu’agent de développement, j’interviens dans les conférences de commissions nationales : «commission culture», «commission informatique», et celles qui sont départementales : «conf salariés», «Conf Fédération». Tout adhérent accède à une conférence

nationale où plus de 800 adhérents inscrits peuvent lire les messages.

En 2003, s’affiche sur l’intranet un premier incident sur une conférence nationale entre le président national et un adhérent d’une association locale. Ces échanges sont lus par environ 170 d’adhérents.

(suite de l’article dans la revue papier)

Transmission et séduction
par Alexis Vilain

La transmission n’a rien d’impossible. On transmet, de fait, des connaissances, des biens, et même des maladies. C’est-à-dire que passe d’un sujet à un autre, d’une génération à une autre, d’un espace à un autre, quelque chose d’un savoir, d’un questionnement, d’un objet ou d’un virus. Et pourtant, face à cette transmission effectivement constatable, se dresse une résistance dont il n’est pas toujours évident de déterminer de quoi elle résulte, résistance qui indique qu’il y a là un point de réel tout autant que de subjectivité. Le réel de la transmission ne se laisse pas appréhender par une théorie de l’éducation en tant que cette dernière en déterminerait tant les fins que les moyens. Qu’en est-il du sujet pour que la transmission se profile à la fois comme nécessaire tout en participant irrémédiablement de la contingence ? Qu’est ce que la transmission, dans son improbabilité, révèle de la subjectivité ?

Pour aller du coté d’une réponse à cette question, nous allons commencer par relire la Confusion des sentiments de S. Zweig. La mise en perspective de ce roman par le Banquet de Platon dans son commentaire lacanien nous permettra de dégager quelques concepts susceptibles de penser la transmission comme mouvement opposé à celui qui s’opère dans la séduction. Nous allons voir comment le ravissement de Roland s’interprète à partir du transport de son maître, comment ce dernier semble happer Roland, à la manière dont Alcibiade est aimanté par un trésor qui serait caché en Socrate

Le secret du maître

« Je le sais, ce sont ses oeuvres qui m’ont formé. »

Stefan Zweig, la Confusion des Sentiments, p. 90

a) une rencontre ?

Le récit de S. Zweig se déroule sous la plume d’un narrateur, l’éminent professeur Roland de D., dont la carrière s’achève alors que débute l’ouvrage et qui éprouve le besoin de justifier la passion qui fût la sienne. Contrairement à ce que ses collègues et anciens élèves ont pu écrire dans le compliment qu’ils lui ont adressé, cette passion, il n’est pas né avec. Son premier mouvement a, au contraire, été de mépriser les livres et la culture écrite. Aussi, au lieu de suivre sérieusement les études que son père le contraint à faire, il s’adonne aux festivités de la vie étudiante. Le voilà bambocheur et séducteur. Ce train de vie est totalement remis en question par une visite impromptue du père. La culpabilité qu’éprouve alors Roland d’avoir trahi la confiance que l’on plaçait en lui n’est sans doute pas sans favoriser la disponibilité qu’il va se découvrir alors à l’étude, mais elle ne constitue, somme toute, que le contexte favorable et non l’étincelle. Celle-ci est à venir. C’est dans la rencontre avec une personnalité hors du commun qu’elle s’allume. Le moment de la rencontre est un coup de foudre. Roland fait intrusion dans un cours donné de manière informelle par un professeur dont il voudrait se faire accepter comme étudiant :

« Jamais encore je n’avais entendu un être humain parler avec autant d’enthousiasme et d’une façon si véritablement captivante ; pour la première fois j’assistais à ce que les Romains appelaient raptus, c’est-à-dire l’envol d’un esprit au-dessus de lui-même : ce n’était pas pour lui, ni pour les autres, que parlait cet homme à la lèvres enflammée, d’où jaillissait comme le feu d’un brasier humain.1» et plus loin : « Quant à moi je ne pouvais pas me remuer, j’étais comme frappé au coeur… Je venais pour la première fois de me sentir conquis par un maître, par un homme ; je venais de subir l’ascendant d’une puissance devant laquelle c’était un devoir et une volupté de s’incliner. »

Temps d’arrêt qui marque la première étape d’une identification voire d’une fascination amoureuse : Roland est confronté à une présence qui manifeste devant lui, ici et maintenant, quelque chose qui est au-dessus de ce qu’il a jamais rencontré et devant quoi il va pouvoir « s’incliner » légitimement, c’est-à-dire de son propre chef. Inclination de devoir comme de volupté : inclination qui s’impose par elle-même et en lui-même. Que fait-il d’autre alors sinon que de reconnaître ici son propre moi en état de puissance ? Que fait-il à ce moment sinon de détourner l’amour qu’il a pour lui-même (narcissisme) du coté de cet autre qui représente pour lui ce qu’il devrait être pour pouvoir être digne de l’amour qu’il s’est toujours porté ? Ce qui le captive ici c’est lui même encore, mais en position de puissance. Peut-on alors vraiment parler de rencontre ? Rien n’est moins sûr pour l’instant puisque rien n’assure qu’il y ait là pour lui une quelconque altérité. Roland se soumet à ce meneur avec passion du simple fait que ce dernier est pour lui l’incarnation de ce qu’il serait s’il était conforme à l’image qu’il a de lui-même. Nous assistons à une identification qui reste dominée par le narcissisme du sujet. Et comme cette incarnation reste pour lui, c’est plus à une image qu’à une réalité que nous sommes confrontés.

Toutefois la question se pose de savoir ce qui dans cette présence-là a pu provoquer l’envoûtement de Roland. Ce que cette présence a de si particulier réside notamment dans une élévation qui lui est inhérente: «…pour la première fois j’assistais à ce que les Romains appelaient raptus, c’est-à-dire l’envol d’un esprit au-dessus de lui-même : ce n’était pas pour

lui, ni pour les autres, que parlait cet homme à la lèvre enflammée, d’où jaillissait comme le feu d’un brasier humain»

Cet homme-là, devant lui, serait « au-dessus » de lui-même. C’est cette élévation qui enlève Roland à son tour, au-dessus de lui-même, par la promesse qu’elle représente à ses yeux. La verve et la flamme du maître sont le signe d’un trésor qui doit être découvert. La puissance de capture que recèle sa parole et dont ce maître est manifestement lui-même l’objet indique une richesse intérieure dont il faut pénétrer le secret.

b) le secret.

Ce secret ne réside pas dans une maîtrise technique de la parole en tant qu’elle serait persuasive. Celui qui capte ici l’attention ne le fait pas par persuasion : il ne fait pas croire (persuadere). Il a lui-même la foi. Il est lui-même enlevé. Le maître est lui-même l’objet d’un enlèvement et non un spécialiste de la parole persuasive, un sophiste. C’est justement cela qui fait l’objet de notre interrogation : cet élément transversal susceptible de nous donner un outil d’analyse pour étudier la transmission, c’est là qu’il réside, dans cet enlèvement, et non pas dans une technique de persuasion.

(suite de l’article dans la revue papier)


Les éphémères
par Anne Percin

Il était trois heures du matin et Wataru n’avait pas encore réussi à s’endormir. En ces premiers jours d’août, les nuits étaient à peine plus fraîches que les journées.

Wataru quitta son matelas posé à même le sol, s’approcha de la fenêtre. Il en fit glisser la vitre, se pencha un instant au-dessus du vide. Trois étages plus bas, au ras du sol, il vit une forme sombre glisser parmi les buissons. Une souris, sans doute. L’adolescent leva les yeux

vers les silhouettes des arbres, travesties de bleu outremer, d’ultramarine et d’anthracite.

Comment croire que la rue, la nuit, était exactement la même que le jour ? Les trottoirs de goudron étaient pourtant identiques, les réverbères en tout point semblables, les fleurs d’azalée avaient la même odeur. Wataru avait beau le savoir, il considéra ce tableau nocturne avec stupeur, comme on ouvre les yeux par les vitres d’un train sur les premières images d’un pays exotique. Étranger dans ce paysage qui pourtant l’avait vu naître, Wataru chercha dans la nuit quelques point de repère rassurants : la silhouette familière des îles, les collines avoisinantes, le bruit des vagues battant la côte dans la baie d’Otaka.

L’air était sale, la chaleur de la journée restait incrustée dans les aspérités du bitume, dans le creux des feuilles des camphriers, dans le fer forgé des grilles de l’entrée.

Wataru entendit une voiture fuyant sur la grande route. Un chien aboya, loin, très loin, sembla-t-il.

Il percevait de sa fenêtre la lointaine respiration du monde. Son esprit lui semblait empli d’un silence de même qualité, plein de mots lointains qu’on ne comprend pas, d’aboiements de chiens inconnus, de grondements d’automobiles sur des routes qui s’éloignent.

Seize ans déjà de cette vie, et toujours les mêmes questions, et la certitude de passer à côté de quelque chose à quoi il faudrait bien, un jour, se résoudre à donner le nom de Vérité.

Mais cette nuit, peut-être qu’il en irait autrement.

Et si, en veillant tandis que les autres ronflaient, il venait enfin à découvrir le secret des choses? Et si c’était la nuit, lorsque chacun dort, que se révèle tout le caché, tout le tapi, tout ce qui disparaît dans la lumière ?

Aux battements de son coeur qui s’accéléraient, Wataru comprit qu’il attendait quelque chose.

(suite de l’article dans la revue papier)


Edouard WILLEMS
Engagement et pratique artistique

par Christine Pâques

Le récit de vie d’Edouard Willems, confronté aux éclairages réciproques de l’artiste et de l’engagement, confirme tout à fait leur idéal commun. Il permet aussi de désacraliser la pratique artistique : l’artiste en soi n’est rien, c’est l’individu créateur qui importe, celui-là même qui participe à l’invention des conditions de sa vie. «L’homme qui ne peut pas créer est un homme mutilé !» : il plaide ainsi pour la création et la multiplication de ces espaces culturels où l’individu peut participer à sa manière, avec ce qu’il est fondamentalement, avec les valeurs qui le constituent.

Ces espaces de cultures sont essentiels pour conserver –ou reconstituer – ce qu’il nomme «la dignité» humaine. Ils sont des espaces de résistance à la barbarie, car ils contribuent à l’enrichissement de l’esprit, en développant notre relation au symbolique, participant ainsi à l’avènement d’individus plus responsables».

enfance et adolescence. Des jeunesses socialistes au séminaire.

De ma toute première enfance je n’ai pas beaucoup de souvenirs, si ce n’est peut-être qu’il y a cette question d’atmosphère.

Bon d’abord .. ça vaut pour ma première enfance et ça vaut pour le reste… c’est l’endroit où je suis né qui pour moi est important. C’était une cité ouvrière, avec ses compartiments bien précis, tous les ouvriers parqués dans les rues très parallèles comme ça, toutes les maisons pareilles, pas d’arbre : les corons. Heureusement, au milieu de toutes les cités il y avait ce qu’on appelle un kiosque. Cela faisait un petit espace où on aimait bien se retrouver pour jouer. C’était une espèce d’immense place bordurée de haies, et au milieu il y avait ce kiosque, comme beaucoup dans les villes du nord. En principe les harmonies montaient là dessus et jouaient de la musique … en principe oui ! Il devait bien y avoir une harmonie, mais je n’ai jamais vu jouer quelqu’un là-dessus! Mais on appelait ça le kiosque. Et ça se dit encore, car bien qu’il y ait eu pas mal de bouleversements, le lieu y est toujours. Il y avait ces maisons d’ouvriers et après, toute une partie qu´on appelait la rue des commerçants. Et au bout de cette rue, il y avait la rue des ingénieurs – des châteaux, quoi ! C’était bien séparé tout ça!

Donc moi je vivais dans les quartiers ouvriers. J’ai toujours souffert de cette histoire de monotonie des bâtiments, et c’est peut-être pour cela que j’ai toujours été fort sensible à l’affiche d’Amnesty International! Celle où un type se fait arrêter parce qu’il peint sa maison d’une autre couleur que celles d’à côté ! En fait j’ai été sensible à cette affiche parce que cela correspond à un sentiment que j’avais quand j’étais gamin. Je souffrais de cette monotonie et de ces différences qu’il y avait entre les commerçants et les petits… Et cette différence se retrouvait dans la cour d’école : j’ai commencé à l’école primaire du côté du quartier commerçant – je dis j’ai commencé, parce qu’après on a bâti une école dans le quartier où j’étais. Les différences se sentaient surtout quand on restait à l’étude, au moment du goûter : tu avais les garçons, (pas les filles, parce qu’on n´était pas mélangé à cette époque!) qui ramenaient leurs biscuits, leurs paquets de biscuits et nous on avait une tartine… on sentait la différence! Bon, mais enfin… peut-être que les autres ne le sentaient pas comme ça ! Moi, ça m´a toujours choqué.

Voilà un peu le cadre… Ah! Et puis il y avait aussi un petit ruisseau qui passait, et où il y avait quelques saules. J’y allais souvent, pour voir, parce que j’avais besoin de sortir de ces rues, de cette monotonie. Enfin en même temps, on aimait bien son quartier… on l’aimait bien!… ça faisait un peu comme des grandes cours, un peu familial quoi… C’était souvent des paquets de maisons avec des voies sans issue : enfin où que tu ailles tu retrouvais la même chose! Je me souviens aussi d’une chose : à un moment donné j’ai été à… on appelait ça l’asile. Il y avait une bonne femme dans une grande pièce avec un feu au milieu, et elle gardait les gosses. Ça correspondrait à la maternelle de maintenant, mais il n’y avait pas de maternelle à l’époque, avant l’école primaire. Dans cette classe que l’on appelait l’asile on gardait les enfants avant qu’ils apprennent à lire. L’usine avait aussi construit une petite école au milieu des cités, avec des bonnes soeurs enseignantes, et aussi un petit hôpital avec des bonnes soeurs qui venaient de la même congrégation… un hôpital de premiers soins avec une dizaine de lits : si ce n’était pas trop grave, les bonnes soeurs avaient ce petit hôpital, sinon pour les grands blessés, on les expédiait sur des hôpitaux beaucoup plus loin, sur Béthune. Il y avait donc l’asile, une école libre et puis ce petit hôpital, et ces soeurs là, au milieu… c’était quand même une grosse usine de cinq mille ouvriers, une usine de métallurgie…

Pour l’asile j’allais dans le patelin à côté, qui n´était pas loin : Berguette. C’était le village d’origine de mes parents, de ma mère. Et alors là, il y avait quelque chose qui me fascinait, je me souviens de ça, le seul souvenir que j’ai : c’était qu’en sortant le soir j’étais fasciné pas la forge. Il y avait un forgeron, je le vois encore. A la tombée de la nuit, ce feu de la forge ! Alors quelquefois on me retrouvait là, il paraît que je pouvais rester… quand je ne rentrais pas à l’heure, c’est que j’étais resté à la forge, que je regardais. J’ai souvent fait le lien avec la forge que j’ai faite après. J’étais fasciné, je vois encore le bonhomme : un petit bonhomme tout sec, tout habillé de cuir et le soir il brillait à la lumière de la forge… comme il n’y avait pratiquement pas d’électricité à ce moment là, il forgeait à la lumière du feu. De même qu’il y avait, et ça aussi c’était frappant, les coulées des hauts-fourneaux qui la nuit éclairaient, rendaient tout ça tout rouge, toute la ville, enfin toutes les cités… régulièrement toutes les deux ou trois heures, tout le ciel s’enflammait… Imagine ! Quand ils ouvraient la gueule des quatre hauts-fourneaux et qu’il y avait la coulée, ça projetait une lumière ! C’était quelque chose d’absolument féerique ! Je pense à Manessier quand il a fait ce tableau, Longwy la nuit. Longwy, c’était le même groupe métallurgique qu’Isbergues. Il y avait Longwy à l´est et Isbergues : ça s’appelait les forges de Châtillon-Commentry.

Bon alors ça, c’est le cadre dans lequel j’ai vécu, et qui m’a quand même marqué. Je raconte souvent que j’allais à cette rivière, et quand je me suis mis à dessiner, je dessinais souvent souvent ces arbres là, les alleaux, ces saules qui chez nous n’étaient pas taillés. Et c’est pour cela peut-être que j’ai eu toute ma vie une attirance particulière pour ces arbres là.

(suite de l’article dans la revue papier)


Dans les cafés en 1900
l’exemple de la Seine-Saint-Denis
par Christophe Granger

A-t-on idée, aujourd’hui, de ce qui se jouait dans les cafés vers 1900? Là, entre discussions ordinaires, lecture du journal, conférences, débats publics et réunions de sociétés locales, c’est tout un monde perdu d’échanges et d’apprentissages qui se tenait et s’entretenait entre le comptoir et l’arrière-salle…

Il y a, dans l’histoire de l’éducation populaire, des lieux tombés en désuétude, ou à peu près, et dont on a fini par perdre de vue l’intensité des pratiques qu’ils ont pu abriter. Les cafés sont de ceux-là. Vers 1900, au temps de la République radicale, ils composaient le territoire privilégié d’une sociabilité populaire vivace. Curieuse formulation, dira-t-on : que le café

constitue alors un haut lieu des existences ouvrières, on le sait sur le bout des doigts. Une enquête de 1886 précise même qu’on compte, en France, plus de 400 000 cafés, soit 1 pour 94 habitants, « femmes, enfants et vieillards compris ». Et il suffit, pour se convaincre de cette influence à échelle d’hommes, de lire les observations parisiennes qu’Henry Leyret, journaliste

qui « s’était fait bistrotier », a consigné dans son livre En plein faubourg (1895). Alors quoi ? Il s’agit de jouer les naïfs ? Plutôt de renverser les regards, de pénétrer dans ces cafés d’antan pour les faire parler de ce qui pouvait bien y prendre vie. Pour ranimer un peu cette forme oubliée des expériences populaires, où la circulation d’une parole spontanée, les échanges d’opinion, les conférences, les réunions électorales et celles des sociétés locales, offraient à ceux qui venaient là l’occasion de se forger  une vision du monde et les outils pour y prendre place.

En retrouver le sens n’est pas chose facile. De ce faisceau de pratiques passées on a largement perdu la trace. Rien d’étonnant, d’ailleurs : tissées de prudence et de parole volatile, elles étaient bien faites pour se faire oublier, pour échapper à l’attention et à la conservation. Les insistantes condamnations de l’alcoolisme ouvrier, promptes à dramatiser ce qui se passait au café, ont fait le reste. Comme en tous lieux jugés menaçants, il y a bien les rapports des infiltrés de la Préfecture de police. Seulement, ils se montrent négligents à l’égard des usages ordinaires qui m’intéressent ici. Là n’est pas leur propos. Sans compter que cette surveillance, connue de tous, ouverte parfois, puisqu’il arrive qu’un inspecteur fasse connaître sa présence, infléchit le sens de ce qui se joue, conduit à policer les discussions et porte peu à peu les réunions qui s’y tenaient à se trouver des locaux plus secrets. On l’aura compris : les obstacles condamnent à l’hypothèse, au trois fois rien, à l’histoire inachevée. Qu’à cela ne tienne, il est possible ici d’esquisser des pistes, de poser des jalons…

(suite de l’article dans la revue papier)


RESEAU EDUCATION POPULAIRE 93
jbourrieau@cg93.fr
Site web Réseau éducation populaire 93

Qu’ils s’en revendiquent ou pas, qu’ils soient agréés ou non, très nombreux sont les acteurs de Seine Saint Denis, associations, services de villes, établissements scolaires,… qui, dans tous les domaines, portent des démarches d’éducation populaire dans notre département. Tous ont le souci de contribuer à ce que les habitants soient acteurs de leur vie, acteurs de transformation sociale. C’est parce que ces démarches ne sont pas toujours connues, valorisées, c’est parce que ces démarches peuvent contribuer à ce que les habitants deviennent véritablement des acteurs des politiques publiques, que le Conseil général a pris l’initiative de susciter l’émergence d’un réseau de l’éducation populaire en Seine-Saint-Denis. Cette idée de favoriser l’émergence d’un réseau d’ éducation populaire en Seine-Saint-Denis correspond à la volonté du Conseil général de se remettre en lien au plus près des populations, ces connaissances

– dans une démarche citoyenne, pour partager et construire ensemble

– dans une démarche d’acquisition de ses pleins droits. Convaincu du rôle indispensable de l’éducation populaire et de l’épanouissement des acteurs qu’elle permet, à un moment où les associations sont fortement touchées, le Conseil général souhaitait se tenir au côté des mouvements d’éducation populaire pour qu’il soient plus forts, valorisés, reconnus. Cette volonté a rencontré la ténacité des associations, qui – bien que souvent en difficulté suite à des diminutions de subventions et à la perte de soutien de l’État à des postes salariés – inventent, construisent, font et refont, travaillent à ce que les habitants soient associés aux décisions qui les concernent. Déjà en 2002……

(suite de l’article dans la revue papier)